Tout va mal
Je me fais attaquer, j’ai des problèmes d’équipement, de météo et de terrain. Mon moral est au plus bas. Qui a dit que voyager à vélo était facile ?
Au sortir de l'autobus à Mendoza, du côté argentin de la cordillère des Andes, je m'installe sur l'herbe pour monter mon vélo. Un employé du terminal me crie d'aller ailleurs, du côté où tous les passagers se tiennent. Pas le meilleur endroit pour remonter un vélo mais j’obtempère. Le tout revissé, je pars à rouler vers la sortie… mais me fait à nouveau interpeler violemment. L’homme me court même après en vociférant comme un damné que seuls les autobus peuvent être sur l’asphalte. Je me faire dire de passer à travers le terminal bondé en poussant ma monture… Bienvenue à Mendoza.
Les jeunes et moins jeunes roulant sur la petite piste du vélodrome rural.
Dès le lendemain, je suis en route. Je compte traverser toute la largeur de l’Argentine vers l’est, pour me rendre à Buenos Aires, et ensuite rejoindre l’Uruguay et le Brésil. Une très longue ligne droite de 1000 km dans la pampa m’attend en Argentine.
Pour quelques kilomètres, je roule avec bonheur. Il fait frais. Pas froid, mais assez pour porter des manches longues et mes pantalons légèrement roulés. Mes pensées m’amènent à l’Europe d’il y a trois ans, à mes débuts. Je suis un peu nostalgique de ce temps où je ne connaissais rien du voyage à vélo. Mais trop rapidement je suis ramené à la réalité. Dès la fin du centre-ville, les fossés se remplissent de déchets, l’air se fait plus sec et la végétation se transforme en épines. Je suis finalement bien loin de l’Europe.
Mes heures de roulade se déroulent néanmoins bien et en fin de journée je vois un petit panneau indiquant un vélodrome. Étonnant pour un petit village éloigné et assez pauvre. Je vais voir ce qui s’y trame et y trouve quelques jeunes et adultes qui y font des tours de piste. Ils me disent que l’emplacement est vieux mais qu’ils viennent tout juste d’avoir une subvention car l’asphalte y est neuf d’à peine quelques semaines. Je jette un coup d’oeil au bitume déjà bosselé et craqué. C’est quand mieux que de la roche, me dis-je.
Puis après un peu de conversation, l’un des adultes va s’informer à la maison la plus près si je peux installer ma tente sur place, et reviens me donner l’affirmative.
Mon campement est installé au milieu du « vélodrome » municipal.
Sous attaque
Les cyclistes de piste partis, je monte mon campement, prépare à souper et rentre dans ma tente. L’obscurité et le froid vient très rapidement dans cet hiver austral. Surtout, l’absence totale d’humidité dans l’air contribue à faire descendre le mercure de façon drastique aussitôt que les derniers rayons du soleil disparaissent. Seul dans le noir, j’entends soudainement des bruits autour de ma tente éclairée par ma lampe frontale. On dirait des pierres qui tombent sur le sol tout près. À nouveau, un bruit sourd retentit. Cette fois, le lancer est précis et une pierre déchire le bas de ma toile de tente. Je crie et sors de ma tente. C’est la première fois en plus de trois ans que l’on m’attaque. Je ne peux cependant pas apercevoir mes assaillants.
Quelques secondes plus tard, j’aperçois trois hommes qui se dirigent vers moi par la piste de vélo. La coïncidence est étonnante et je me demande si ce sont eux qui m’ont attaqué. Le plus vieux d’entre eux me demande si je veux aller m’installer dans son garage « pour être plus en sécurité ». Je suis peu confiant. Je me dis que la roche était peut-être une diversion pour que je les suive et qu’on me dévalise dès que j’aurai laissé mon équipement derrière. En même temps, si je refuse l’invitation et que je reste dans le champ, je risque de me faire lancer à nouveau d’autres pierres…
Je décide de les suivre. Mais je transporte la majorité des mes sacs, dont mon équipement électronique et mon argent, et leur fais transporter ma tente. Nous marchons ainsi vers le garage, qui est en fait une installation pour jouer aux bochas, ou boules, sorte de pétanque locale. J’y remonte ma tente à l’intérieur et entre tous mes sacs dans celle-ci.
Ma tente installée au fond, à côté des pistes de bochas, sorte de pétanque argentine.
J’accepte ensuite une invitation dans leur maison juste à côté. Miguel, le plus vieux des trois hommes et propriétaire de la maison, me dit que ce sont sûrement des enfants qui habitent en arrière qui m’ont attaqué. « Pendejos. » les décrit-ils… des trous-d’cul en autres mots.
Dans la maison, peu de choses se passent. Plusieurs gens s’y trouvent en attente d’écouter un match de la Copa américa de soccer, qui oppose ce soir-là le Brésil et l’Argentine. Mais la télévision ne fonctionnera jamais et les jeunes passeront finalement la soirée à jouer aux cartes et à fumer. On ne s’occupe pas trop de moi et je décide de retourner à ma tente.
Tout va mal
Je réussis à passer la nuit sans me faire tirer de la pierraille. Mais la nuit est froide même à l’intérieur de mon abri. Surtout que ma petite doublure dont je me sers à l’intérieur de mon sac de couchage se déchire de partout. Après quelques années d’utilisation, elle a atteint sa fin de vie. Je l’avais bien fait réparer à Santiago mais le tissu est trop vieux et déchire au moindre de mes mouvements.
Je me réveille aussi souvent dans la nuit pour tenter de regonfler à la bouche mon matelas qui est percé. Je l’avais aussi réparer avant de reprendre la route mais il semble que de nouveaux trous se soient formés. De plus, des chiens hurlent et aboient toute la nuit tout autour.
Au matin, je constate justement qu’un chien a mâchouillé et détruit mes écouteurs pendant que je préparais mon repas de la veille. Je tourne mon regard vers mon vélo dont les pneus ont l’air particulièrement mous, probablement à cause de l’air froid. Je tente de les regonfler mais ma pompe ne fonctionne pas bien non plus et je n’y arrive pas.
Quand ça va bien, ça va bien, comme on dit…
Je m’installe dans un abris d’autobus pendant une bonne heure pour réparer mon matelas. Je n’ai pas beaucoup d’eau avec moi mais en utilise une partie que je mélange à du shampooing pour la rendre savonneuse et ainsi trouver plus facilement les bulles qui s’échappent des fuites à colmater. Les camions passent sans arrêt tout à côté dans un bruit d’enfer. Et des milliers de fourmis sont attirées par l’eau que je répands sur le béton de l’abri. Je n’ai roulé que 10 km et suis déjà épuisé mentalement…
Réparation de bord de chemin de mon matelas. De l’eau savonneuse pour trouver la fuite. Ma colle UV ne sèche qu’au soleil et cette réparation me prendra une bonne heure.
Tu aimes ça ?
Les journées continuent et se ressemblent. Les options de route ne sont pas légion et je suis généralement une autoroute sans accotement. Les camions sont énormes, presque comme des trains avec leurs grandes remorques, et nombreux et je dois souvent me tasser rapidement dans l’accotement pour éviter de me faire frapper. Je continue de réparer presque au quotidien mon matelas qui flanche sans arrêt et me force à dormir au sol. Et les journées très courtes, de 9h à 18h, ne me permettent pas d’avancer énormément.
J’achète des bananes d’un homme en bordure de la route. Il me pose une question différente de celles que je reçois normalement. Au lieu de me demander d’où je viens et où je vais, il me demande simplement « et tu aimes ça voyager à vélo ? ». « Honnêtement, je ne le sais plus, que je lui réponds candidement. J’ai 33 ans et je dors sur un matelas de sol qui se dégonfle… Il y a des journées agréables, et d’autres plus difficiles. C’est difficile ces derniers temps... »
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