Des hauts et des bas
Mon équipement ne va pas mieux, mon oeil se gonfle, je suis « sauvé » d’un trou par une Néo-Zélandaise… Mais petit à petit mon optimisme revient !
Y fait frette !
J'avais sous-estimé l’hiver sud-américain. C’est probablement le mot « sud » qui m’a induit en erreur. Pourtant, je ne suis même pas si bas en latitude. À la hauteur de Mendoza, autour du 32e parallèle, c’est similaire à l’Afrique du Nord ou à la frontière américano-mexicaine dans l’hémisphère nord. Mais l’ouest de l’Argentine est sec, très sec. Et dès que les derniers rayons du soleil disparaissent de l’horizon, aucune humidité dans l’air ne retient la chaleur. J’ai donc intérêt à être dans ma tente et sous mon sac de couchage dès 18h lorsque le mercure descend à moins de 5 degrés.
J’ai pourtant connu plus froid que ça par le passé, notamment dans les montagnes d’Asie centrale. Mais je pense que le duvet commence peut-être à se taper davantage dans mon sac de couchage et mes deux manteaux. En plus de ceux-ci, je porte la nuit un t-shirt et un polar, quelques paires de bas et une tuque. Il faut dire que j’ai maintenant aussi abandonné le projet d’essayer de réparer mon petit sac de couchage en soie que j’utilise comme doublure, et qui est maintenant presque en lambeaux. Et que malgré des réparations quotidiennes, mon matelas de sol s’invente de nouveaux trous à chaque soir. Je m’endors tôt, ne pouvant même pas lire avec mes doigts gelés. Mon ordinateur se ferme tout seul et même mon dentifrice gelé me requiert de l’écraser à deux mains pour le sortir.
Plusieurs fois par nuit, je me réveille ainsi transis, couché directement sur un sol dur et froid… Avec tout ça, je me réveille généralement tard le matin, autour de 10h lorsque la journée commence à peine à se réchauffer. Je pensais préférer le froid à la chaleur et l’humidité extrême. Je commence à en douter.
L’entrée du petit village de La Toma, en Argentine.
La siesta
Mais les difficultés pour le voyage à vélo ici sont aussi liées à la culture argentine. Dans presque l’entièreté du pays, les gens font la siesta tout l’après-midi. Les commerces, incluant les épiceries et restaurants, sont presque tous fermés de 13h jusqu’à parfois 20h. Ce qui ne laisse que l’avant-midi pour acheter des fruits et légumes dans une fruiterie ou pour aller à l’épicerie. Puis les villages sont aussi éloignés les uns des autres dans cette pampa désertique, et comme je campe souvent, je rate généralement les heures d’ouverture.
La pauvreté
Je suis ainsi à traverser difficilement l’Argentine d’ouest en est. Le début de cette route se fait dans la province de Mendoza, au pied de la cordillère des Andes. La région est mondialement reconnue pour la qualité de ses vins. Mais les raisins poussent dans un climat sec, et la poussière est omniprésente dans l’air. À la lumière de ma lampe frontale le soir, je vois voler du sable jusque dans ma tente. Je préfère ne pas l’imaginer entrer dans mes poumons.
Les maisons aussi sont construites sur le sable. Et la pauvreté de ces dernières me marque. Plus tard vers l’est, alors qu’une classe moyenne se fera plus nombreuse, on m’expliquera que les gens sont généralement beaucoup plus pauvres à l’ouest dû à l’absence de mécanisation du travail agricole. Le travail manuel de récolter les fruits, que ce soit raisins, pommes, pêches ou autres, paye beaucoup moins que de conduire des tracteurs ou des moissonneuses batteuses dans la section plus centrale où les champs de céréales sont rois.
Beaucoup de travailleurs des pays voisins viennent aussi chercher ce travail manuel qui paye peu mais quand même davantage que dans leurs pays d’origine, dont la Bolivie. Une situation qui n’est pas totalement étrangère au travail saisonnier que l’on connaît bien au Canada.





Aventures d’hôtels
Puisque évidemment tout doit arriver en même temps, je retrouve dans cette sécheresse un symptôme que j’avais déjà eu il y a quelques années dans le désert au Kazakhstan : une paupière qui se met à enfler pour aucune raison apparente ! Est-ce à cause d’un grain de sable ou bien d’un chien que j’ai flatté quelque part ? Aucune idée, mais l’oeil bouffi me fait mal et affecte mon moral.
Pourtant, je dois garder l’oeil ouvert (!) pour les camions. Les accotements sont inexistants et les options de routes peu nombreuses. Je tente le plus possible de trouver des routes secondaires mais je me retrouve bien plus souvent directement sur l’autoroute. Au moins, les camions me laissent généralement assez d’espace et me font même un gentil vent de dos en me dépassant à vive allure. Je suis un positif.
La face gonflée, l’équipement qui lâche et le froid de la nuit me convainquent à quelques reprises de me laisser tenter par un hôtel. Dont celui où l’eau coule tellement peu dans la douche que je dois m’aplatir nu contre le mur de tuiles froides pour profiter du mince filet d’eau tiède qui coule du pommeau. Pendant ce temps, mes pieds sur les omniprésents carreaux sont complètement frigorifiés dans cette petite chambre où le calorifère produit davantage de vapeurs d’essence que de chaleur…!
Je me laisse aussi tenter par cette auberge à San Luis où je partagerai notamment mon dortoir de lits superposés avec une voyageuse de Nouvelle-Zélande. Après quelques heures de sommeil, je me réveille à moitié, dans la pénombre de la chambre et le corps complètement en sueur et tout penché au-dessus du plancher. Heureusement, j’ai un des lits du dessous et je ne tombe pas de bien haut. Dans ma somnolence, je regarde la céramique du plancher de la chambre et ne peux comprendre où je suis. Couché à terre, je suis convaincu que je suis dans le fond d’un puits alors que je regarde les hauts lits superposés de chaque côté de moi. Je suffoque tellement que je réveille la Néo-Zélandaise. Elle se lève et me demande si ça va. Je lui réponds en criant…
I’m in a hole ! I’m in a hole !
Évidemment, la fille ne comprend rien à ce que je raconte d’être au fond d’un trou. Elle allume la lumière de son téléphone et la pointe vers le sol pour ne trouver que le plancher bien normal et moi qui souffle au sol comme un déchaîné… Puis elle va se recoucher.
Je me relève et constate à mon tour que je viens de rêver. Un peu (pas mal) honteux, je vais à mon tour me rendormir. Le lendemain matin, avant de reprendre la route, je tente la blague en la remerciant de m’avoir sauvé la vie la veille…
Moi, roulant en tout petit sur cette longue route qui contourne le volcan El Morro.
Ça s’améliore (un peu)
Après San Luis, l’herbe commencera progressivement à réapparaître. Le timide vert qui commence à se pointer me fait du bien. J’ai aussi l’impression que le froid est moins cru. Le paysage devient moins plat et je vois de belles collines se dessiner au loin. Il y a même une petite chaîne de montagnes qui perce l’horizon et que j’irai contourner.
Les gens deviennent aussi un peu plus curieux à ma vue. Une dame d’une boulangerie me parle d’un Québécois qui était géologue dans son village avant de déménager en Australie. Elle me demande si je le connais. Je ne veux pas lui faire de peine et je réponds peut-être.
Ma route devient petit à petit moins monotone. On trouve des vaches de chaque côté de la route, quelques éoliennes au loin. La lumière du ciel est douce et belle et il y a de moins en moins d'épines au sol. Je crains moins pour mes crevaisons. Ce beau paysage me rend plus heureux. Comme si l’agressivité du décor et de la végétation avait auparavant pris d’assaut ma personnalité et que je m’en libérais progressivement.
Quelques moutons me contemplent au parc municipal du mini-village de Saladillo.
Paysage lumineux peu avant La Toma.
Il fait toujours froid. Je sais qu’il va faire froid pour plusieurs mois. Je suis au coeur de l’hiver et je roulerai vers l’est à la même latitude pendant un bon bout. Je n’ai qu’à m’armer de patience que la belle saison revienne éventuellement. Et entretemps continuer d’essayer de réparer mon matelas au quotidien !
De toute façon, mieux vaut en rire qu’en pleurer. Ce n’est certes pas avec du soleil et du vent favorable qu’on écrit des livres d’histoires à dormir dehors !
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