Tu peux dormir chez moi

Les invitations se font de plus en plus nombreuses dans cette généreuse Argentine.

On me demande souvent comment je choisis mon itinéraire. J’en connais les grandes lignes – le prochain pays, la prochaine grande ville – mais ma route au quotidien n’est pas planifiée plus longtemps qu’une ou quelques journées d’avance. Je regarde alors la carte routière sur mon téléphone (j’utilise l’application maps.me), j’analyse la grosseur et la qualité des routes, et je soupèse les différentes possibilités. Puis je me fie à mon expérience.

C’est ainsi que j’avais prévu prendre la route nationale 8 à la sortie de Rio Cuarto. J’avais jugé que la 7 au sud et la 9 au nord seraient beaucoup plus occupée puisque desservants de plus grandes villes. Mais l’accotement se termine dès la fin de l’aire urbaine. Les nombreux et lourds camions passent rapidement beaucoup trop près de moi. Certains ne ralentissent et ne se tassent pas, et klaxonnent juste avant de me dépasser pour que je me pousse rapidement dans le gravier du bord de route. C’est assez inquiétant pour que je change de plan immédiatement. Je bifurque donc sur un chemin agricole qui pousse au nord pour me rendre quelque 20 km plus loin à une autre route, provinciale cette fois, que j’espère pavée mais moins occupée.

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Le début se passe relativement bien. Le chemin est en sable mais relativement tapé. Puis ça devient rapidement une vraie traversée du désert. C’est mou et je dois être en toute petite vitesse et mouliner rapidement pour garder ma ligne. Malgré tout, j’apprécie beaucoup le calme de cette route. Je crois me répéter en écrivant que le silence est maintenant pour moi un luxe. Cette absence totale de véhicules à moteur me remplit d’une paix. Je me mets à penser que le concept de bikepacking (comme ce que je fais mais souvent sur des sentiers plutôt que sur de vraies routes) comporte ce net avantage sur le cyclotourisme de route.

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À travers ces champs, je croise des vaches, des chevaux, quelques cowboys sur leurs montures. Je passe même un passage à gué où l’eau me monte par-dessus les genoux. Tout ça pour terminer pas si loin de mon point de départ du matin. Mais au moins davantage en sécurité et avec quelques belles photos de plus.

Les drôles de station-service

Plus je continue ma route vers l’est et plus je laisse le climat aride derrière moi. Les paysages se font un peu plus verts et les herbes plus hautes. Je passe même plusieurs kilomètres où les plants qui ressemblent à un mélange de blé et de bambou dépassent les arbres. Presque régulier comme un métronome se trouve aussi un nouveau village à chaque 20 km. Je m’y arrête souvent, dans des campings municipaux, des parcs ou des stations-service.

L’avantage de ces dernières est qu’on y trouve parfois des douches, et souvent un mini restaurant. Les stations en Argentine possèdent même presque toutes des machines à café de très bonne qualité, comme si j’avais besoin d’une raison supplémentaire pour prendre des pauses !

C’est à l’une de ces stations de village que je m’installe un soir. Ma tente posée sur l’herbe derrière la station, je m’assoie à l’une des tables pour prendre les notes de ma journée et travailler des photos. Un peu avant 20h, une table est préparée au milieu de l’endroit. Puis une autre, et 5 autres. Nappes blanches, verres de vin, coutellerie, la station se transforme rapidement en une salle à manger d’hôtel lui donnant un faux air de réception de mariage.

La station-service/restaurant 5 étoiles du village.

La station-service/restaurant 5 étoiles du village.

Beaucoup de gens commencent à arriver vers 21h (ça mange tard ici !). La table principale dans le milieu, que je croyais installée pour les employées, est en fait pour une grosse réservation. Mais il y a aussi un groupe de 4 femmes qui se sont bien habillées pour venir manger à la station. Il y a aussi deux familles, et deux groupes de deux hommes. L’endroit est à moitié plein en ce vendredi soir et les caissières de la station se convertissent en serveuses et sommelières. Le village ne compte vraisemblablement pas de bons restaurants et la station a décidé de remplir ce rôle en même temps. Dehors, les pompistes continuent néanmoins leur travail habituel, et les automobilistes continuent de venir à l’intérieur pour un sac de chips ou une boisson gazeuse pour la route. L’écran géant au mur crache les questions d’une version pesos d’Argentine de « Who wants to be a Millionnaire ».

Je me dis qu’on trouve vraiment des histoires et des bribes de culture partout sur la route.

De retour à ma tente, je constate de nouveaux trous à mon matelas de sol (préparez-vous à cette histoire… elle durera deux mois !). Mais comme ma colle est activée par les rayons UV du soleil, je suis dans l’impossibilité de le réparer. Ce sera une nouvelle nuit directement sur le sol. Au moins il y a ici de l’herbe…! Le lendemain matin, comme pour m’aider à relever « vieux » corps endolori, un employé de la station vient me voir pour m’offrir à déjeuner. On me dit de choisir ce que je veux et j’arrête mon choix sur quelques croissants et un café de leur fantastique machine. Je suis bon pour au moins les prochains 20 km avec ça !

Quelques flamands s’envolent d’un lac.

Quelques flamands s’envolent d’un lac.

Paysage familier de chaque village : des silos à grains et quelques chevaux.

Paysage familier de chaque village : des silos à grains et quelques chevaux.

Maria Ester

Le soir de cette même journée, j’entre au beau petit village de Pascanas. Quelques chevaux y paissent l’herbe. C’est propre et des gens sympathiques de tous âges dont des enfants circulent et me saluent. J’accote mon vélo à l’extérieur d’une petite épicerie et y pénètre pour demander au propriétaire quel serait le meilleur endroit pour ma tente. Maria Ester, 72 ans, tout sourire et accompagné de son petit chien, entend ma question et s’approche du comptoir. « J’ai une chambre à la maison. Tu peux dormir chez moi. », me propose-t-elle sans aucune crainte.

J’accepte avec plaisir et la suis pour à peine une moitié de bloc. Je m’y installe dans la pièce qu’elle me propose : un grenier au-dessus d’une bâtisse à côté de sa maison. Cet édifice était auparavant le garage de son mari, décédé il y a dix ans du cancer. Elle l’a par la suite converti en un local qu’elle loue à un magasin de vêtements. Au-dessus du magasin, la pièce qui doit guère n’avoir qu’un mètre vingt de hauteur, possède deux lits où dorment les petits-enfants de Maria Ester lorsqu’ils la visitent.

Je pars ensuite à la marche pour trouver un restaurant mais rien n’ouvre avant 20h. Au retour, je m’arrête au petit magasin sous ma chambre pour y trouver des pantalons de jogging avec lesquels je pourrai dormir durant ces nuits encore froides. La propriétaire y est avec quelques autres clients. Répondant à leurs questions, je commence à raconter quelques histoires de voyage. Puis lorsqu’ils me demandent où je passe la nuit, je pointe simplement leur plafond. « Littéralement au-dessus de vous, chez Maria Ester ! ».

Ma chambre au bas plafond, directement au-dessus de la petite boutique de vêtements.

Ma chambre au bas plafond, directement au-dessus de la petite boutique de vêtements.

Je vois mon hôte en revenant chez elle vêtu de mes nouveaux pantalons. Elle me demande si j’ai pu trouver à manger et devant ma réponse négative, elle se met à me préparer des pâtes au fromage. Je trouve que c’est beaucoup de trouble pour elle mais elle insiste et s’assoit avec moi pendant que je mange son excellent repas. Elle me parle de son fils de 46 ans qui habite depuis peu au sud du pays pour y pratiquer la médecine, de ses trois petits-filles qui ont entre 13 et 21 ans. Elle me parle de son frère qui vivait au même village mais qui est aujourd’hui décédé. De ses 4 grands-parents nés en Italie et ayant déménagé ici. Maria Ester Porporato a passé toute sa vie dans ce village de moins de 3000 habitants. Elle a enseigné 26 ans dans un pensionnat aujourd’hui fermé qui recevait des étudiants de la campagne et de la région avoisinante. Et même ici, elle a constaté les effets de la mondialisation qui avance partout dans le monde.

« Le village est assez petit et pauvre, me dit-elle, mais c’est chez moi. Il y avait plus de vaches avant, aujourd’hui c’est surtout des céréales. Il y a bien quelques commerces mais plus d’industries. »

Entre nos questions, elle prend quelques photos de moi en cachette pendant que je mange pour les envoyer à son fils, cycliste lui aussi.

Maria m’expliquera aussi un peu plus pourquoi elle ne craignait pas de m’inviter. « Je suis en sécurité ici. Les gens me connaissent et les policiers passent souvent devant la maison pour voir si je vais bien. » Elle me partage qu’elle a souvent des douleurs liées à la fibromyalgie dont elle souffre. Une nuit elle n’arrivait pas à dormir et ses lumières étaient allumées. Les policiers sont alors venus cogner pour savoir si tout était bien. « Je fais de l’insomnie », leur a-t-elle répondu en les invitant ensuite pour un café ! La bonté attire la bonté.

Le lendemain matin, alors que je prépare mes sacs, j’entends Maria m’appeler à nouveau pour un repas. Elle m’a même déjà affublé d’un p’tit nom.

Yoné ! Yoooooooné ! Veux-tu des oeufs et du café ?

Ma charmante et généreuse hôte Maria Ester.

Ma charmante et généreuse hôte Maria Ester.

Ce n’est que vers 11h que je partirai de chez ma nouvelle amie pour rembarquer sur la route provinciale 11. Les nuits ont beau être froides et les distances longues dans ce grand pays je commence de plus en plus à apprécier l’Argentine. Pour ses magnifiques couchers de soleil, sa culture distincte et parfois étrange, mais surtout pour ses gens généreux et accueillants qui deviennent des amis sur ma route.

La route se poursuit à travers la grande Argentine agricole.

La route se poursuit à travers la grande Argentine agricole.

 
Jonathan B. Roy

Auteur, journaliste, vidéaste et conférencier, Jonathan B. Roy raconte des histoires depuis 2016.

http://jonathanbroy.com
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