Trucs pour voyager heureux
Sur trois continents en quatre d’années sur la route, j’ai assurément fait ma part d’erreurs et d’apprentissages. J’ai surtout compris que le voyage à vélo – qu’il soit d’une semaine ou de plusieurs années – est franchement plus aisé qu’on l’imagine. Morceaux choisis.
Cet article a d’abord paru dans l’excellent magazine Vélo Mag, édition juillet-août 2019, et maintenant en ligne sur leur blogue.
Au nord de Longzhan, en Chine.
SE PRÉPARER
Saviez-vous qu’on n’est pas autorisé à entrer par n’importe quel poste frontalier dans un pays? Eh bien, pas moi! C’est ainsi que je me suis fait renvoyer vers la Slovénie à mon arrivée en Croatie, la douane en question étant réservée aux résidents européens. Ce genre d’erreur est facilement évitable si on se prépare un peu.
Les visas, les lieux intéressants à visiter, les types de route, l’importance du dénivelé, tout ça est pertinent à étudier avant de se lancer dans l’aventure. Cela dit, plus long est le voyage, moins la préparation est primordiale, puisqu’on a davantage de temps pour se revirer sur un dix lipas.
Il faut se préparer à toutes les situations lorsqu’on affronte les routes du Tadjikistan.
CONNAÎTRE SES OBJECTIFS
Chacun a ses raisons de partir à vélo: l’entraînement, la visite de vignobles, la découverte d’une nouvelle culture… De ces raisons émanent des règles qu’on s’impose soi-même. Dans mon tour du monde, mon objectif personnel est de rencontrer des gens, pas de pédaler chaque kilomètre. Il m’est donc arrivé de me déplacer en train, par exemple pour passer du Kazakhstan à l’Ouzbékistan, afin de franchir une vaste région désertique. J’ai été comblé, puisque l’ancien train soviétique était bondé de monde prêt à me faire la jasette!
NE JAMAIS SE STRESSER AVEC LA VITESSE…
… sauf si votre objectif est de pousser la machine sans arrêt! Prendre votre temps vous autorise à apprécier le paysage, les odeurs, la végétation différente. Cela permet d’écouter le vent dans les feuilles, les gazouillis des oiseaux. De remarquer le kiosque à crème glacée, et de s’y arrêter. Et pourquoi ne pas faire une sieste dans l’herbe tout de suite après?
Une de mes plus belles siestes a eu lieu en Bosnie-Herzégovine, dans une petite ville de carte postale toute de pierres bâtie. Je m’étais arrêté sur un banc en bois près d’un vieux pont qui enjambait une rivière blanche d’écume. Après avoir mangé mon casse-croûte improvisé fait de pain, de charcuteries et de fromages, je me suis assoupi sous le bruit de la cascade en contrebas. Je ne me suis réveillé que quelques heures plus tard, tout mon équipement encore pêle-mêle autour de moi. J’ai repris ma route, toujours sans horaire à respecter.
Outre les siestes, je vous suggère de commencer votre voyage progressivement, histoire de vous remettre du transport en avion et d’habituer vos fesses à ces longues heures en selle. Planifiez au moins un ou deux jours de repos ou de visites par semaine.
Coup de blues dans la pampa, Argentine.
TROUVER LE BON PARTENAIRE
Il y a des avantages à bourlinguer seul, comme je le fais la majorité du temps, mais également à deux ou plus. Or trouver le bon partenaire de cyclotourisme est presque plus difficile que de trouver un conjoint de vie! En effet, la compagnie oblige à commencer sa journée en même temps, à parcourir le même kilométrage environ à la même vitesse, à s’arrêter aux mêmes endroits, à attacher le même intérêt (ou pas) à la photographie, à disposer d’un budget semblable… N’hésitez pas à discuter de ces questions avant le départ.
En vue d’adoucir les petites différences de vitesse ou d’intérêts, vous n’êtes pas non plus contraints de rouler constamment l’un à côté de l’autre. J’ai rencontré l’Allemand Freddy au Tadjikistan, avant que nos routes ne se croisent à nouveau en Birmanie puis en Argentine et au Chili.
Ma méthode préférée, que ce soit avec Freddy ou avec d’autres, est de rouler seul, puis nous nous attendons l’un l’autre pour manger, visiter ou prendre des pauses. J’écris «nous nous attendons», mais en fait, c’était toujours moi qui étais derrière l’Allemand à pédaler lentement et à tout photographier! Un truc: si vous voulez savoir si d’autres cyclistes voyagent dans votre secteur, consultez le site wearetouring.org.
Le trio pour quelques semaines : Freddy, moi-même et Davide, le temps d’une petite pause photo devant l’un des nombreux glaciers surplombant la route chilienne.
EMPORTER LE MOINS POSSIBLE
C’est bien beau, de ne pas se stresser avec la vitesse, cependant avancer aisément est tout de même agréable. L’important en matière de bagages n’est pas d’avoir tous les vêtements, mais plutôt ceux qui sont adaptés au climat du lieu visité. Comme en ski de fond, le multicouche est de mise, par souci de minimiser le volume. Une idée est de dresser une liste des objets transportés et de la peaufiner de voyage en voyage, retirant au fur et à mesure ce dont on se sert peu ou pas.
J’avais pour ma part emporté mes cuissards, qu’à la maison je revêtais systématiquement lors de mes sorties en vélo de route ou de montagne. J’ai toutefois rapidement constaté qu’il était compliqué de les laver régulièrement et de les faire sécher convenablement. En outre, vu la position relevée que j’adopte sur mon vélo de cyclotourisme ainsi que ma large selle, je n’en avais pas réellement besoin. Je les ai postés chez moi, évitant probablement en même temps les regards qu’on m’aurait sans doute lancés dans des pays moins habitués à ce vêtement si ajusté. Je roule donc depuis habillé de shorts de course.
EMPORTER UN OBJET INUTILE
Je sais, ça semble complètement en contradiction avec la rubrique précédente. Mais il faut toujours bien se faire plaisir! Par exemple en trimballant une chaise pliante, un hamac, un haut-parleur Bluetooth…
En ce qui me concerne, je ne transporte presque pas de vêtements, presque rien pour la santé, pas d’oreiller… mais un drone que j’utilise avec joie quasi quotidiennement. Cependant, n’oubliez pas: UN objet, pas une liste. Et s’il vous plaît, ne faites pas non plus comme ces deux Coréens que j’ai croisés en Bulgarie, chacun emportant une chaise en bois dans leurs bagages! Ils disaient s’en servir entre autres comme poteaux de tente…
À Kuala Lumpur avec ma guitare montée derrière le vélo !
SORTIR DE SA ZONE DE CONFORT
On voyage pour manger des curiosités, s’essayer dans une langue inconnue, avoir du plaisir, pour chanter fort en roulant à la campagne, se débarrasser de la poussière sur son corps en sautant dans une rivière froide au milieu d’une chaude journée. On a raté ma coupe de cheveux à d’innombrables reprises de l’Ouzbékistan au Chili, j’ai avalé des crapauds au Cambodge, des larves en Birmanie, des rats au Laos, du poulet cru au Japon. J’ai dormi dans une station de police, dans un monastère bouddhiste, dans une maison abandonnée en Bosnie-Herzégovine… Et je n’ai jamais eu autant de plaisir.
EMBRASSER LES MOINS BONNES JOURNÉES
Connaissez-vous le fun 1 et le fun 2? La première catégorie est lorsque tout va bien: beau soleil, vent de dos, café latté en après-midi. La seconde est quand il se met à grêler, qu’un pneu éclate et que le chemin d’asphalte se transforme soudain en longue montée de gravelle.
Devinez duquel des deux fun on se souvient davantage par la suite?! Ce n’est pas pour rien que je raconte bien plus souvent l’histoire de ma traversée du désert kazakh – où j’ai dû combattre mon intense soif en buvant du lait de chameau fermenté – plutôt que celle de la Corée du Sud sur une belle et soyeuse piste cyclable. Néanmoins, le meilleur voyage est une sage combinaison de ces moments parfaits et d’anecdotes impossibles.
PARLER AUX HABITANTS DU PAYS VISITÉ
Bien qu’on immortalise en photos de magnifiques couchers de soleil, de majestueuses montagnes et d’impressionnantes architectures, les souvenirs les plus durables demeurent ces rencontres uniques au voyage à vélo. Hors des lieux touristiques, les gens n’ont rien à vendre et sont d’ordinaire vraiment intéressés à en apprendre davantage sur ceux qui se déplacent munis de sacoches. Et à se raconter. Une de mes règles est d’ailleurs d’accepter (pratiquement) toutes les invitations! J’ai même développé une technique presque infaillible pour me faire offrir un lit ou un repas. Si quelqu’un m’aborde en fin de journée, il finira invariablement par me demander où je dors. Je réponds alors : «La plupart du temps dans ma tente, mais chez de gentilles personnes lorsque celles-ci m’invitent…» Je laisse planer la fin de la phrase en esquissant un sourire, osant parfois un clin d’œil!
Cette technique est surtout utile en Europe. Dans les pays musulmans, au contraire, les invitations sont quotidiennes et les cadeaux sous forme de nourriture, nombreux. Je me souviens de cet homme peu fortuné qui m’avait si généreusement accueilli chez lui au milieu des montagnes du Tadjikistan. Ses enfants se chamaillaient gentiment pour savoir qui m’aiderait à monter ma tente. La maison familiale étant trop petite pour que je puisse y entrer tout en respectant l’intimité des femmes, les hommes sont sortis à l’extérieur pour m’offrir et partager un pique-nique. Nous avons ainsi mangé assis sur une grande nappe multicolore posée sur l’herbe, à deux pas d’un ruisseau.
En compagnie d’une famille à Gölyaka, en Turquie.
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