La Terre du vent
La Terre de feu ? L’île la plus australe de l’Amérique du Sud devrait plutôt s’appeler la Terre du vent !
- Freddy, est-ce que le vent est toujours comme ça…?
- Non. Des fois il est deux fois plus fort.
L’estancia Viamonte offre aux cyclistes une cabane pour se protéger du vent violent.
Le paysage s’aplatit rapidement en quelques jours après mon départ d’Ushuaïa, tout au sud de l’Amérique du Sud. En entrant dans la pampa argentine, je me cache derrière mon ami Freddy la majorité du temps. Mais même en se bloquant mutuellement le vent, nous ne roulons que 8 ou 9 km/h…
Freddy, lui, connaît déjà bien ce climat. Il a déjà roulé quelques mois en Argentine, de Buenos Aires à Ushuaïa. La majorité du temps dans ce vent infernal qui ne cesse jamais. Du matin au soir, il nous souffle au visage à des vitesses de 50 à 100 km/h.
Le vent diminue un peu la nuit venue, mais est toujours présent jusqu’à tard le soir. Il est pratiquement impossible de camper, sous risque de déchirer sa tente ou d’en briser l’armature. Nous dormons donc généralement dans des cabanes abandonnées.
Un après-midi, un Thaïlandais voyageant à moto s’arrête à nos côtés. Même si nous sommes debout les uns à côté des autres, nous devons crier pour nous entendre. Lui même nous dit avoir de la difficulté à rester droit à moto. Il nous partage avoir rencontré un Français qui planifiait rouler d’Ushuaïa jusqu’à l’Alaska. Un périple de deux ans. Après trois jours, il a abandonné, a vendu son vélo, et a décidé de prendre l'autobus...!
Un joli troupeau de chevaux en bordure du chemin.
Les autos passent rapidement sur la route où plusieurs ont déjà perdu la vie…
Jack, le Thaïlandais à moto autour du monde.
16 km à pied
L’île est séparée presque à moitié entre le Chili et l’Argentine.
L’île de la Terre de feu, tout au sud du continent, est séparée entre l’Argentine et le Chili. La section argentine est en fait enclavée dans le pays voisin et nous devons traverser au Chili pour en sortir. Mais les distances sont si grandes et notre vitesse si médiocre que nous décidons de nous séparer pour avoir davantage de chance de se faire ramasser par un camion pour quelques kilomètres. Je pars devant.
Mais nous sommes un samedi, et le 22 décembre de surcroît. La route est pratiquement déserte et les seules autos qui passent sont remplies des familles et des bagages pour les visites des fêtes. Personne ne me ramasse.
Je décide de simplement me baisser la tête et de pousser jusqu’à la frontière. Je me dis qu’il sera sûrement plus facile de discuter avec des automobilistes aux douanes et de trouver quelqu’un avec qui embarquer du côté chilien.
Mais non.
Après être sorti de l’Argentine, je réalise que l’entrée officielle au Chili est en fait 16 km plus loin ! Dont 12 km sur de la gravelle molle où il est impossible de pédaler. Le vent me souffle à 80 km/h directement au visage dans un bruit infernal et constant, comme si je me sortais pendant des heures la tête de la fenêtre d’une auto lancée sur l’autoroute.
Dans ce bruit, il m’est même impossible d’écouter mes podcasts ou de la musique. Je me mets à chanter seul en poussant ma bécane à 3 ou 4 km/h. « Une chambre de motel, su’l bord d’la 117. J’attends d’tes nouvelles, les mains derrière la têêêête. »
Presque 4 heures plus tard à marcher dans cet horizon infini, j’entre au Chili. Il est 20h30 et je décide de m’arrêter. Moyenne de la journée : 6,5 km/h…
La langue sortie à pousser contre le vent, entre les postes douaniers de l’Argentine et du Chili.
Les retrouvailles
Il me reste cependant encore 120 km à parcourir pour me rendre à Cerro Sombrero, le point de rencontre fixé avec Freddy. Je mets mon alarme à 4h45 pour essayer de partir avant que le vent ne reprenne toute sa force. Toujours aussi sans volonté le matin, je ne pars qu’à 9h30… Freddy devra m’attendre longtemps là-bas.
Freddy en bordure de la route dans une cabane abandonnée.
Quelques kilomètres plus loin, je passe devant une autre vieille cabane abandonnée. J’aperçois de loin un vélo stationné devant. Puis à mesure que j’approche, je reconnais les sacoches jaunes et le sac rouge de mon ami, puis enfin son vélo. Sans savoir comment c’est possible, je dois me rendre à l’évidence, ça ne peut être que lui !
J’entre dans la cabane en criant son nom. Freddy est alors endormi, couché sur une planche de bois, et ouvre les yeux d’incrédulité.
- Tu n’es pas à Cerro Sombrero ?!
- Non. Et toi non plus ?
Personne ne l’a ramassé la veille non plus. Après plusieurs heures d’attente, il a aussi décidé de rouler jusqu’à la frontière. Il a dormi du côté argentin et est parti tôt ce matin pour passer au Chili. Sans le savoir, il est passé devant moi avant mon départ, mais était ensuite trop fatigué pour continuer et s’est arrêté dans cette cabane.
« Et on fait quoi, là ? » Ben pas trop le choix, on recommence à rouler à deux !
Je viens de retrouver mon ami Freddy dans le vent de la pampa chilienne. Et nous cherchons toujours une façon de ne pas célébrer Noël au milieu des prairies.