Vaut mieux tuer un innocent que de garder en vie un ennemi
J'aurais pu bifurquer vers l'ouest beaucoup plus au nord, mais je souhaitais visiter Phnom Penh, la capitale du Cambodge, pour en apprendre plus sur leur génocide. Et j'ai très bien fait.
ATTENTION : CE TEXTE TRAITE D'ATROCITÉS HUMAINES ET EST TRÈS GRAPHIQUE.
Je connaissais le nom des Khmers rouges, mais sans plus. De l'autre côté de la planète, nos connaissances de l'Asie du sud-est sont assez limitées. Un peu comme je m'étais instruit sur les tristes guerres des Balkans lors de mon passage à Sarajevo (il y a un an !), j'ai eu tout un choc à Phnom Penh en visitant les horreurs du régime de Pol Pot.
Le Vietnam, encore
C'est dans un contexte de guerre du Vietnam, le pays voisin, que le mouvement des Khmers rouges a pris de l'ampleur dans les campagnes cambodgiennes. Après avoir changé quelques fois d'allégeance entre la Chine et les États-Unis, le roi Sihanouk perd son trône en 1970. Pour reprendre le pouvoir, il s'allie en 1975 avec les Khmers rouges, ses anciens ennemis. La guerre civile fait rage entre le roi déchu et le premier ministre au pouvoir. Et pendant ce temps, les États-Unis bombardent le pays pour affaiblir les Nord-Vietnamiens qui s'y trouvent.
Quand ça va ben, ça va ben.
Réalisant qu'on s'est servi de lui et qu'il ne contrôle rien, Sihanouk démissionne en octobre 1975, à peine quelques mois après avoir réussi à reprendre son trône avec l'aide des Khmers rouges.
2 millions de morts
Le quart du pays éliminé. En 4 ans.
Le Cambodge est renommé Kampuchéa démocratique en janvier 1976 par le nouveau chef Pol Pot. Ce pays, qui n'a de démocratique que le nom, bascule alors rapidement dans un état où sa population est pratiquement mise en esclavage.
Pol Pot souhaitait plus que tout un retour à la terre. Il imposa des exils massifs de toutes les villes cambodgiennes vers les campagnes reculées. Juste autour de Phnom Penh, c'est 2 millions de personnes qui doivent quitter leur ville à pied.
Trop de gens se retrouvèrent alors dans les champs, et on leur enleva la machinerie agricole pour les forcer à revenir à des valeurs et du travail plus traditionnel.
Les « intellectuels » étaient ciblés et assassinés. Il suffisait d'avoir les mains un peu trop douces ou de porter des lunettes pour être classé dans cette catégorie.
Très rapidement, les gens se mirent à mourir de faim. Ces hommes, femmes et enfants étaient forcés de travailler la terre, parfois jusqu'à 19 heures par jour, sans outils et sans aucune connaissances de ce métier. Les maigres récoltes de riz étaient saisies et vendues en Chine pour financer l'achat d'armes pour le régime.
Des centaines de milliers de personnes décèdent alors par année dans cette famine créée de toutes pièces par la folie d'une poignée d'hommes.
Centre S-21
Au cœur de Phhom Penh, le centre S-21, ou Tuol Sleng (« colline empoisonnée »), est la plus connue des quelques 190 prisons du régime. Entre 14 000 et 20 000 personnes y trouvèrent la mort. On évalue généralement à 6 ou 7 les survivants.
Depuis 1980, l'endroit est un musée dédié au génocide khmer. Parmi les milliers de Cambodgiens y ayant été envoyés, on retrouve aussi quelques étrangers qui s'étaient trouvés au mauvais endroit au mauvais moment. Encore une fois, les intellectuels furent ciblés.
Le simple fait d'être enseignant, de parler une langue étrangère, d'être religieux ou même simplement de porter des lunette (y compris pour les enfants) était suffisant pour être considéré comme intellectuel et donc « à exterminer ». (Wikipédia)
À l'intérieur des salles de cours, des murs en briques ont été bâtis pour séparer les cellules.
Règlements de la prison.
Cette visite est assez difficile. Les salles de classe ont été transformées en prison de fortune, en montant des murs de briques directement où les enfants avaient pu étudier quelques semaines auparavant.
Au centre de ces bâtisses se trouve deux beaux parcs verts au milieu de la ville. Un endroit de rêve pour les jeunes écoliers, transformé en un espace où la torture étaient plus commune que les repas.
L'audioguide du musée m'apprend que les prisonniers rivalisaient parfois d’ingéniosité pour essayer de se suicider. Un s'est rentré dans la gorge le crayon qu'on lui avait donné pour signer une fausse confession. Un autre a versé le contenu d'une lampe au kérosène sur sa tête et s'est immolé...
Mais généralement, s'évader ou se suicider était impossible.
Toutes ces histoires me rendent malade. Comment l'homme peut-il être si mauvais envers son prochain?
La dernière pièce à visiter est remplie de crânes avec des petits trous ronds. Ceux-ci ne sont pas causés par des balles de fusil, que l’on économisait, mais plutôt par des pics ou des barres de fer que l’on martelait dans la tête.
Le bon monde, comme disait l'autre...
La liste des gens assassinés dans cette prison.
Les Killing Fields
À l'intérieur de ce bâtiment se trouvent des centaines de crânes retrouvés dans le champ avoisinant...
Ce surnom imagé est donné au champ jouxtant le village de Choeung Ek, où les Khmers rouges assassinaient systématiquement des camions remplis d'hommes, femmes et enfants qui y étaient envoyés.
N'importe qui pensant même à parler contre le régime était envoyé dans un de ces camps d'exécution. Parfois, les gardes eux-mêmes rejoignaient les rangs des victimes lorsqu'ils ne s'empressaient pas assez de purger le pays de ces « intellectuels ennemis ».
« Il vaut mieux tuer un innocent que de garder en vie un ennemi. »
- Pol Pot
Et comme si tout cela n'était pas encore assez, on peut voir ici « l'arbre de la mort ». Son utilité : servir à fracasser les crânes des bébés contre son écorce pour sauver du temps.
Aujourd'hui
Chassés du pouvoir en 1979 par une invasion du Vietnam communiste, il est incroyable d'apprendre que le gouvernement des Khmers rouges a continué d'être reconnu par l'ONU comme un gouvernement en exil... jusqu'en 1990 !
Dans les années suivantes, des procès ont condamné certains des responsables de ces atrocités. Mais généralement, le Cambodge, surnommé la terre des orphelins, tente plutôt de se tourner vers l'avant.
Aujourd’hui encore, le pays est un des plus pauvres d'Asie. Près de 60% de la population y vit d'un maigre travail agricole. La pauvreté est très visible en campagne, surtout en comparaison avec deux des pays avoisinants que sont le Vietnam et la Thaïlande. Quarante ans après la fin du régime, beaucoup de maisons sont encore sans eau courante ni électricité.
Après avoir vu toutes ces atrocités, je reprends ma route normale, non sans penser longtemps à toutes ces victimes et à combien nous pouvons constamment être près de l'horreur.
Cette route que j'ai rencontrée dans tous les pays, où les enfants sont heureux, les parents fiers, les hommes accueillants et les femmes souriantes, je la connais bien, c'est celle du bon monde. C'est à celle-là qu'il faut se rattacher.