Un train nommé chaos

Après ma traversée du désert kazakh, je me pose à Beïnéou, dernière ville avant la frontière ouzbèke. Le désert se poursuit de l'autre côté de la frontière, et s'annonce encore pire que ce que je viens de traverser. Je dois décider si je continue à vélo ou si je prends le train.

500 km entre Béïnéou et Noukous.

500 km entre Béïnéou et Noukous.

Il y a 85 kilomètres de routes défoncées pour se rendre à la frontière, suivi d'un autre millier de kilomètres dans des territoires majoritairement désertiques. La première partie est la pire. Deux jours de vélo séparent les villes entre elles et le climat est le même que ce que je viens de subir.

Durant mes deux journées à Béïnéou, je penche d'un côté et de l'autre à plusieurs reprises. Je n'aime pas tricher mon vélo. J'alterne entre l'idée d'aller au bout de cette désagréable expérience, ou d'avoir plus de temps pour visiter l'Ouzbékistan. Le visa ouzbek est à date spécifique, pour un maximum de 30 jours. Il m'en reste 27, et c'est un très long pays à traverser.

Ma décision penche à ce moment pour le vélo lorsque je pars faire des provisions. Mes lunettes de soleil me protégeant autant de la lumière aveuglante que servant à cacher un œil enflé par la déshydratation. Quittant mon air climatisé, je marche dans une ville étouffante de chaleur, sèche et poussiéreuse. Je passe devant le terrain de soccer municipal, immense carré de sable avec deux poteaux à chaque extrémité. Au marché, j'achète un nouveau paquet de serviettes humides pour me nettoyer dans ma tente. Elles sont sèches... Même les serviettes humides sont sèches dans ce désert !

De la marde. Je prendrs le train.

Le billet

Je remets presque en question cette décision au comptoir de la billetterie. Le simple achat d'un billet prend plus d'une heure. Il fait plus chaud que jamais, les gens poussent et se dépassent, rien n'est automatisé et tout semble compliqué pour rien.

En sortant de la gare, je croise un autre cycliste britannique attendant son train. Il va en sens inverse de mon itinéraire.

- As-tu fait le désert en Ouzbékistan?

Que je lui demande.

- Non, j'ai pris le train.
- Fais-tu celui au Kazakhstan?
- Non, je prends le train.
- Tu sais pas ce que tu manques, man !

J'espère secrètement qu'il me croit.

Le train

Le train doit passer par la gare à 2h du matin. Sur place, c'est plus occupé qu'une foire de Noël. Les vendeurs de fruits m'aident à m'orienter parmi les nombreux trains arrivant sur place. Alors que j'allais embarquer dans le mauvais, on me remet dans le droit chemin en criant mon nom et secouant la tête.

CANADA ! CANADA !
Un compartiment exprès du train pour les vélos.

Un compartiment exprès du train pour les vélos.

Éventuellement, mon train arrive, et les employés, bien que peu satisfaits par tous mes bagages, m'indiquent un endroit où mettre mon vélo.

On me donne ensuite un formulaire d'immigration dans ce qui me semble être du russe. Personne ne parlant anglais dans le train, je le remplis du mieux que je peux... c'est-à-dire à moitié. Suivant leurs instructions consistant en des doigts qui pointent ce qu'ils veulent, je leur remets mes formulaires incomplets et mon passeport. 

Puis, je tombe littéralement de fatigue.

Lorsque le train entre en Ouzbékistan, je suis à moitié endormi, et je me réveille à peine lorsque les gardes crient mon nom dans le train pour me remettre mon passeport.

CANADA ! CANADA !

Entre 5h et 6h du matin, tous les passagers se font fouiller.  Pensant m'en sortir, je plains mon voisin qui se fait passer au peigne fin pour la deuxième fois en une demi-heure. C'est après malheureusement mon tour. Je dois ouvrir mes sacs au complet et expliquer tout mon itinéraire aux soldats.

Une autre équipe arrive et semble démonter le vieux train du plancher au plafond à la recherche de je ne sais quoi. Ils ouvrent des trappes que je n'avais même pas remarquées, prennent des photos de l'intérieur du plafond rouillé, démontent les bancs et vont même sous le train avec des lampes de poche. Je suis pas mal soulagé que personne n'ait caché quelque chose sous mon banc.

Les vendeurs

Après la frontière, un flot incessant de vendeurs, et surtout de vendeuses, se promènent dans les couloir étroits. Ils offrent des montres, de la nourriture (des brochettes de viande?!), des fournitures de bureau, des jouets, des vêtements pour tous âges.

Et ils ne passent pas juste une fois chacun. Non, non, ils passent et repassent et te demandent à chaque fois la même question en russe.

Mister, veux-tu acheter mon cossin?

Non, je la veux pas ta calculatrice cheap.

Des fois, les vendeuses s'assoient sur mon banc pour remettre leurs gogosses en ordre et parler un peu entre elles. Je tente de me cacher et de dormir sur la tablette du haut. Pardon, sur la couchette du haut.

Les vendeuses s'arrêtant un peu avant de repartir à crier dans les wagons.

Les vendeuses s'arrêtant un peu avant de repartir à crier dans les wagons.

40$ en argent ouzbek, qui ne vaut pas grand chose !

40$ en argent ouzbek, qui ne vaut pas grand chose !

Je me rendors vite. Moitié parce que je n'ai pas dormi de la nuit, moitié parce que le train me berce en se promenant de gauche à droite sur les rails inégaux.

Mais je ne dors pas super bien. Il fait 40 degrés dans le train. Tellement chaud qu'il y a de la condensation sur les vitres qui ouvrent à peine. Elles ouvrent quand même assez pour que les passagers du train puissent jeter leurs bouteilles de plastique à l'extérieur... Ce qui me fâche encore plus que la toilette qui consiste en un trou se déversant sur les rails.

Un moment donné, de l'eau se met à couler du plafond comme si la canalisation d'une ville avait cédé. Ça coule pendant probablement dix minutes et personne ne s'en formalise. On vient négligemment nettoyer ça après.

Vers 17h, j'arrive finalement à Noukous.

Noukous

Je sors du train trempé de sueur et encore à moitié endormi. J'ai l'impression d'avoir rêvé ce voyage tellement c'était surnaturel.

Le lendemain, en ligne pour acheter une nouvelle carte SIM locale pour mon téléphone, je me fais encore pousser et dépasser. Pour une opération qui ne prend généralement que quelques minutes dans les autres pays, cette fois c'est pratiquement une heure.

Dans ce pays de la mythique route de la soie, je ne peux m'empêcher de me demander si Marco Polo a éprouvé autant de difficulté à s'acheter une carte pour son cellulaire.

Le train a réussi à m'enlever quelques centaines de kilomètres désagréables. Mais je n'en suis encore qu'au début de ce pays et de ses surprises.

Jonathan B. Roy

Auteur, journaliste, vidéaste et conférencier, Jonathan B. Roy raconte des histoires depuis 2016.

http://jonathanbroy.com
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