Turquie - En route vers Ankara

Le vent se lève, l'anglais disparaît et les animaux apparaissent. Bienvenue dans la Turquie rurale.

La suite de mon itinéraire turc a été influencée par deux considérations. Tout d'abord, mon plan original était de suivre la mer Noire au nord, mais quelques cyclistes (dont mon ami Yves le Français) m'ont plutôt suggéré de me diriger vers le centre du pays. Ceci afin d'éviter la densité de la circulation automobile ainsi que d'immenses montagnes suivant toute la côte. Puis, j'ai décidé de prendre un traversier d'Istanbul vers le sud, aussi afin d'éviter de revivre l'énorme congestion automobile vécue à mon entrée en ville.

Je débarque donc à Yalova pour une montée de 450 km vers Ankara, la capitale, située sur le plateau anatolien.

La carte SIM familiale

Comme ma traversée de la Turquie me prendra pratiquement un mois complet, et qu'il m'est impossible depuis mon entrée au pays de trouver de l'internet, je décide de me procurer une carte SIM locale, me permettant d'utiliser à loisir mon téléphone.

Au bien nommé magasin Turkcell, j'y fais la rencontre des sœurs Melek et Zehra. Après le prix d'une carte mensuelle, une des premières choses que Melek me mentionne est qu'elle est divorcée, donc célibataire, et disponible. Disponible ou pas, j'accepte quand même le thé et les biscuits qu'on m'offre.

On parle un peu de mon voyage, et je suis éventuellement inviter à souper. Je me rends donc en vélo à la maison... pour y trouver un festin familial ! C'est une grande résidence à trois paliers, où cohabitent quatre générations. Mais en plus, le frère des sœurs débarquent avec sa famille, ainsi que progressivement quelques voisins et autres enfants du village. Je ne sais plus combien nous sommes, mais mon application Google Translate n'a jamais été aussi utile.

Le souper avec toute la famille.

Le souper avec toute la famille.

Jonathan, Sevim, Melek, Batu, Zehra, Ada et Efe.

Jonathan, Sevim, Melek, Batu, Zehra, Ada et Efe.

Il se trouve que c'est aussi la première journée du Ramadan. Durant un mois, les musulmans pratiquants doivent jeûner durant toute la journée et ne peuvent manger ou boire que lorsque le soleil se couche. La période du Ramadan est basée sur un calendrier lunaire, et varie donc d'année en année. Et cette année, il se trouve que le mois tombe dans les plus longues journées.

Ceci étant dit, je crois alors que la première journée du Ramadan est un genre de mardi gras où les familles se rassemblent pour célébrer le début de ce mois de jeûne. Apparemment non.

- Aviez-vous organisé ce souper pour célébrer le début du Ramadan?
- Non, pourquoi?
- Pourquoi y a-t-il autant de gens ici alors?
- Mais pour te rencontrer Jonathan!

Je passe donc la soirée avec eux, leur chante du Manau en m'accompagnant à la guitare, et y dors. Le lendemain matin, je suis assis sur la galerie à côté de mon nouveau chum Efe, un kid de 10 ans ultra attachant qui ne cesse de m'appeler brother en me regardant avec de grands yeux admiratifs. On se parle en textant chacun notre tour sur mon téléphone qui traduit nos phrases.

- Pourquoi tu pars Jonathan?
- Ben il le faut, Efe, je dois continuer ma route.
- Mais pourquoi tu restes pas ici?
- Parce que j'ai le goût de visiter le monde.
- Pourquoi?
- Parce que c'est mon rêve.
- Ok brother, je comprends.

Mon cœur fond.

La forêt et le désert

Quelques minutes plus tard, alors que je m'apprête à quitter ma famille d'accueil, Sevim, la mère des sœurs, m'apprend la dernière nouvelle : l'explosion d'une nouvelle bombe terroriste à Istanbul, faisant plusieurs dizaines de morts et de blessés. Elle semble s'excuser pour son pays et est inquiète pour moi. Je tente de les rassurer. Je ne mets pas tout le monde dans le même panier, et reste persuadé qu'il y a des millions de fois plus de bonnes personnes dans ce monde que d'illuminés fanatiques. Nouvelle ronde de caresses.

Ayant ceci en tête, et ma chance d'être parti à temps d'Istanbul, je poursuis ma route. Au fil des jours, et après le sommet d'une montée, la végétation de conifères fait bientôt place à un climat aride et désertique. Et le vent de face commence.

Refuge d'oiseaux à Beypazari.

Refuge d'oiseaux à Beypazari.

Le vent et les nombreuses montées à 10% se poursuivent. Je bataille pour chaque kilomètre et j'en viens soudainement dans un état second. Un instant, je regarde devant moi et ça me prend quelques secondes pour me souvenir dans quel pays je suis. J'ai déjà roulé dans tellement de paysages depuis mon départ qu'ils se confondent parfois entre eux avant que je rassemble mes idées. Je reviens cependant vite à la réalité sous le bruit des klaxons des camionneurs. Les gars, je sais que vous voulez me dire bravo, mais pourriez-vous klaxonner ailleurs qu'à deux pieds de ma tête svp?

Le Ramadan rend aussi les choses un peu plus difficiles. Tous les restaurants sont fermés durant la journée, et je dois donc prévoir le transport de plus de nourriture. La Turquie est un assez grand pays, particulièrement rural où je me trouve, et je peux parfois ne pas croiser d'épicerie pour quelques jours. Après avoir failli manquer de bouffe une journée, j'ai appris ma leçon et je fais des réserves!

La bête

L'endroit où je capotais dans ma tente.

L'endroit où je capotais dans ma tente.

Je vous montre souvent des photos de mes endroits de camping préférés. Mais la réalité est que pour que la majorité des nuits, l'endroit est moins prestigieux. Comme cette nuit où je m'installe tout juste à la sortie de la ville de Nallihan, littéralement de l'autre côté d'une station d'essence.

Vers le milieu de la nuit, je me réveille et j'entends de grandes et profondes respirations très près, à l'extérieur de la tente. Encore à moitié endormi, et entièrement dans le noir, je concentre mon écoute pour savoir si c'est un humain ou un énorme animal. C'est là que j'entends un puissant grognement.

HOLY F**K SHIT !!!

Ok, c'est pas une marmotte. Une seule fois auparavant - en France - ai-je entendu un animal près de ma tente, mais il était alors pas mal plus petit. Là, mon cerveau est complètement réveillé et je me mets à penser à ce que ça peut être.

Un chien? Un gros sanglier? Ont-ils des sangliers ici? Un loup? Mais non, on est trop proche de la ville, ça n'a pas de sens. Crime, ça sonnait comme un alligator. Ben non, tais-toi Jo, c'est certain que c'est pas un alligator. Faut que ça soit un chien. Mais un méga gros chien sauvage. Ok, j'ai mon couteau dans mon sac de bouffe... juste ici dans ma tente. Calique, pourquoi j'ai ma nourriture dans ma tente. Ouin, je prendrai pas mon couteau, le sac d'épicerie en plastique va faire beaucoup trop de bruit...

Je décide pour le statu quo. Et confiant que mes murs de tente en nylon me « protègent », je me rendors.

Jusqu'à ce que je me réveille en sueur. Je viens de rêver qu'un sanglier a mon bras dans sa bouche. Je calme ma respiration en regardant autour de moi dans la tente. Good, pas de sanglier.

Et là... j'entends encore la même respiration et le même grognement.

MAN, IL DORT TU À CÔTÉ DE MA TENTE !?!

J'aimerais ça terminer l'histoire en vous disant ce que c'était. Que je l'ai découvert en ayant le courage d'ouvrir ma porte pour en avoir le cœur net, et que j'ai même pris une photo. Mais non. Je suis resté ben assis au milieu de ma tente en attendant que la nuit finisse...

D'après moi, c'était un alligator.


Éventuellement, voulant éviter une sixième nuit de suite en camping sauvage, et poussé par la volonté de prendre une douche, je roule 110 km et j'arrive à Ankara. J'y resterai deux jours, avant de me remettre en route pour un nouveau chapitre d'aventures!

Jonathan B. Roy

Auteur, journaliste, vidéaste et conférencier, Jonathan B. Roy raconte des histoires depuis 2016.

http://jonathanbroy.com
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