L'Autriche, ou comment gagner son ciel
Le 19 décembre dernier, afin de tester mon équipement et mon endurance cycliste dans le froid en prévision de ce voyage, je suis parti de ma maison à L'Orignal pour me rendre à Mont-Tremblant, une randonnée d'un peu plus de 90 km dans les Laurentides. Le dernier tiers s'étant fait dans la neige, j'étais alors loin de me douter à quel point cette pratique me serait utile en Autriche...!
Chemin parcouru, par tous les moyens de transport, en Suisse, au Liechtenstein et en Autriche.
"This type of weather is highly unusual at this time of year.", de s'excuser quelques habitants. En effet, lors de ma traversée des Alpes autrichiennes, j'aurais été pris dans deux tempêtes de neige. Et je n'ai pas honte de l'avouer, j'ai triché mon vélo les deux fois. Chronologie.
La première tempête
Le matin après la tempête. À gauche, le tunnel sur lequel j'étais pour installer ma tente.
Dès la deuxième journée en Autriche, je pars de Feldkirch et commence à monter et monter, en direction d'Innsbruck. Mon itinéraire suit généralement les vallées entre les montagnes, mais à quelques reprises, la seule option est de passer par-dessus la montagne dans ce qu'on appel un col.
Je suis donc en train de monter mon premier col quand il commence à neiger vers la fin de la journée. Neiger n'est en fait pas le bon mot, c'est un véritable blizzard ! Je me mets alors à la recherche d'un endroit relativement plat, chose plutôt rare dans ces montagnes. Je grimpe à pied par-dessus un tunnel pour les trains et y jette mon sac de tente. Le dénivelé est trop important et glissant pour que je puisse y pousser mon vélo par le même chemin. Je fais donc le tour via le tunnel car il m'a semblé que la pente était moins prononcée de l'autre côté. De l'autre côté, j'aperçois un signe sur une maison... « gasthaus » (ou Guest House). Je cogne et sors mon plus bel allemand.
- Combien pour la chambre?
- 25 euros.
- Excellent. Je vais chercher ma tente et je reviens!
Et quelle excellente décision ce fût ! Le lendemain, je constate qu'il est tombé entre 20 et 25 cm de neige. Je regarde la température... -6°C. Ça veut donc dire que je dois finir de monter le col, et le descendre de l'autre côté, avec de la glace sur le chemin. L'autre option est la station de train, à 200 m, et qui me permettrait de sauter ces conditions plutôt dangereuses. C'est l'option retenue.
Le Tyrol
Innsbruck est une superbe ville. Avec des airs de Banff, si Banff était en Europe. Elle est située dans une grande vallée et il semble que de la ville, toutes les directions pointent le regard vers des pics enneigés. Je poursuis ma route vers l'est dans la saisissante région du Tyrol. En chemin, les montagnes sont partout, et j'ai peine à ne pas m'arrêter à chaque cinq minutes pour prendre des photos !
La vue à la sortie d'Innsbruck, au Tirol.
Vue imprenable à la journée longue.
En fin de journée, comme la vue est incroyable, je prévois que ma traditionnelle photo de tente sera assez réussie. De plus, comme les options de surface plane sont encore assez limitée, j'installe ma tente en plein centre d'une petite colline. J'ai déjà discuté de la difficulté de communication avec les Suisses allemands. Ce n'est guère mieux en Autriche! Le propriétaire du terrain, qui a dû m'apercevoir au loin en train de prendre des photos, appelle la police. Celle-ci vient me rendre visite vers 22h.
- Qu'est-ce que tu fais?
- Je campe.
- Ok, tu n'as pas le droit, c'est interdit en Autriche.
- Je suis en voyage de vélo, je ne savais pas. (hum hum)
- Où vas-tu ?
- Au Vietnam.
- QWAT? Ok, tu peux rester pour ce soir. On va aller le dire au propriétaire.
- Merci, vous êtes ben sport !
Avant la visite de la police ! Ça aura valu la peine.
Ralph et Roya. 4 200 km à pied en Europe. Liebe signifie amour.
La route se poursuit ensuite suivant beaucoup de lacs et de rivières à l'eau pure et transparente. Avec les montagnes en arrière, tous les paysages prennent des proportions épiques. Ça roule bien, l'air est bon, il fait beau, je suis heureux.
Je rencontre bientôt Ralph et Roya. Lui est Allemand, elle est Iranienne. Je les dépasse en descendant une côte sur un pont, mais je les attends après celui-ci pour connaître leur histoire. Ils sont en train de marcher 4 200 km, pendant 14 mois avec leur immense buggy. Moi qui pensais avoir de la difficulté à trouver des endroits où camper avec mon vélo, je leur dis que ça ne doit pas être évident de cacher leur brouette! Ça n'a pas l'air de trop les stresser! Ils font environ 25 km par jour, dans les Alpes, à pousser tout ce poids, et avec un budget à peu près inexistant. Je leur donne des fist bumps afin de leur signifier que je suis impressionné.
La deuxième tempête
Tout ce que je connais de la suite de mon itinéraire à ce point-ci est que je dois maintenant suivre la route 99 jusqu'à Villach, au sud. Les dénivelés ne sont cependant pas inscrit sur mes cartes. Le temps est plus froid et la pluie se transforme bientôt en neige. Je grimpe tout l'avant-midi, m'arrêtant peu puisque tout est fermé en ce dimanche. Alors que je me mets à espérer fortement qu'une auto me prendra en pitié, un couple m'attend au sommet d'un dénivelé de 13%.
Heidi et Hanno, et leur automobile salvatrice.
- Where are you going?
- To Villach, following the 99.
- You know you have to climb two passes to get there, and for one of them, chains on your tires are mandatory. It's more than 50 km and there is nothing in between.
- I did not.
- Do you want a ride?
- Yes.
C'est comme ça que je triche une deuxième fois mes pédales et que je fais la rencontre d'Heidi et d'Hanno. Hanno est lui-même cycliste et me dit qu'il ne pouvait pas laisser un collègue dans un tel pétrin comme ça. En roulant, je savoure ma décision en constatant que des centres de ski sont encore ouverts dans cette région !
Certains centre de ski étaient encore en fonction!
La montée finale
Dans la maison de Burgi, à Villach.
À Villach, je reste à nouveau dans une gasthaus. Burgi, la propriétaire, ne parle qu'allemand et ne semble pas trop s'inquiéter de la rapidité de sa conversation. Je me débrouille comme je peux et après quelques semaines en pays germanophones, ça ne se passe pas si mal.
Je repars le lendemain vers le sud, pensant me rendre tranquillement en Slovénie. Erreur! L'Autriche ne me laissera pas partir sans me gâter une dernière fois! Je constaterai que la frontière est au sommet d'un col, et malgré la basse température, je suis en nage. Plusieurs automobilistes et camionneurs me lancent des regards d'encouragement jusqu'à ce que j'atteigne finalement le sommet.
Je viens de rentrer en Slovénie.
En vrac
Le coût de la vie est très élevé en Autriche, mais pas autant qu'en Suisse. Je me suis donc arrêté à la première épicerie du pays, à peu près 5 m après la frontière avec le Liechtenstein. Aucune de mes cartes de banque ne fonctionnent et je n'ai pas d'argent liquide. Une dame me met en cachette dans la main un billet de dix euros et me souhaite bonne chance pour mon voyage. Wow, ce pays sera facile, me dis-je.
Mais finalement non! Bien que j'aie rencontré beaucoup de gentilles personnes, les gens sont encore assez indépendants. Par exemple, on dirait que chaque cycliste croisé soit en spandex et s'entraîne pour une qualification olympique. Chaque coup de pédale semble une sérieuse affaire! Je me suis aussi fait dépasser à d'innombrables occasions par d'autres cyclistes de tous âges, mais à ma défense, une bonne partie des vélos y sont électriques. La technologie y est définitement beaucoup plus répandue qu'en Amérique. Tous les types de vélos en sont munis, montagne comme route, hybrides comme performants.
Les gîtes sont aussi partout. Zimmer signifie chambre en allemand. Que la maison soit récente ou rustique, grande ou petite, chaque village, aussi perdu soit-il, compte au minimum quelques-unes de ces gasthaus avec des chambres d'hôte.
Une des innombrables maisons offrant des chambres.
Les maisons de ferme ou de campagne arborent très souvent une grosse cloche sur leur toit, qui était traditionnellement pour indiquer aux travailleurs dans les champs que c'était l'heure du repas.
La traversée de l'Autriche m'a probablement fait perdre quelques livres, et fait passer plusieurs nuits dans ma tente avec mon manteau d'hiver, mais elle aura valu la peine. C'est un pays incroyablement beau, où chaque paysage est digne d'une carte postale. L'anglais y est beaucoup moins répandu que je ne l'aurais cru, même plutôt rare, mais ça ne fait que rajouter à l'ambiance et au charme du paysage. Auf wiedersehen, Österreich.