25 jours pour tomber en amour

Fred et moi poursuivons notre route dans la campagne birmane. On continue de faire face à beaucoup de difficultés mais les sourires et la gentillesse commencent à percer ma carapace.

Les Birmans sont accueillants. Des centaines de fois par jour, on se fait crier « Bye bye ! ». Ce sont souvent les seuls mots d'anglais connus, alors on les accepte comme bonjour, au revoir et toute la conversation entre ça.

Mais malheureusement pour moi (et vous !), les gens sont gênés devant l'appareil photo. Peut-être en partie à cause de leur dentition.

Les dents

Faut dire que la majorité des hommes mâchent sans arrêt le paan, un tabac mélangé à des noix et des épices, et enveloppé dans des feuilles. En plus de leur donner un buzz, ça leur détruit la dentition et leur donne une bouche rouge en permanence. Même CNN dit que c'est problème.

Avec Fred, on a cependant développé une technique : lui les fait rire en essayant de parler birman, et je tente de les capter au bon moment. En voyant ces sourires, on comprend un peu mieux notre popularité auprès des femmes locales, qui elles ne mâchent à peu près pas et ont donc encore leurs belles dents.

Un franc sourire !

Un franc sourire !

La politique... et un génocide ?

À Pyay, au centre du pays, nous revenons à pied (sans jeu de mots) du marché. Un jeune homme en moto nous aborde pour pratiquer son anglais. On accepte l'invitation et nous nous dirigeons dans un café. Je dis café mais on est assis sur des petites chaises pour enfants en plastique sur le trottoir, presque dans la rue, et on boit du thé.

Bref, ses amis et lui sont tellement motivés à apprendre l'anglais qu'ils se rencontrent à chaque soir pour une période où seule cette langue est permise. Étudiant en génie mécanique, « pour faire plaisir à mes parents », Aung Zin (ou Adam de son nom anglais choisi) veut plutôt être interprète pour les journalistes étrangers qui viennent chez lui.

On parle un peu politique.

Avant 2010, parler moindrement contre le gouvernement en place pouvait t'envoyer en prison pour 10 ans. Il faut se surveiller encore un peu aujourd'hui, mais le fait que je puisse m'asseoir en public avec vous est une grande avancée.

Seulement 4% de la population du pays est musulmane, et depuis des mois, les nouvelles sortent au compte-goutte d'une des provinces à l'ouest, où ceux-ci se trouvent en majorité. Certains parlent de génocide, alors que d'autres disent qu'il faut plutôt parler de « tensions » et de « combats ».

La réalité est que depuis quelques mois, plus de 21 000 rohingyas, la population touchée, ont fui vers le Bangladesh. Et que 130 000 personnes sont toujours privées des soins nécessaires à leur survie.

Comme il est musulman lui-même, je pose la question à Adam. Je suis surpris qu'il me réponde ne pas en avoir entendu parler. Mais surtout qu'il me dise que ça l'étonnerait que ce soit vrai.

J'aurai la même réponse à chaque fois que je poserai cette question au pays. J'imagine qu'il s'agit d'un mélange entre ne pas encore pouvoir complètement dire sa pensée et l'absence de nouvelles indépendantes au niveau national...

La musique

Jour et nuit, partout où l'on va, il semble y avoir de la musique à plein régime. Je dis musique mais je devrais plutôt écrire cacophonie. Ont-ils une gamme différente ? Car à mon oreille, les chanteurs faussent une note sur deux, même sur des enregistrements !

Lors de plusieurs nuits en camping, même en milieu de semaine, la musique au loin ne s'éteint que vers 1h de matin. Je compatis avec ce touriste néerlandais qui s'est fait mettre en prison il y a quelques semaines. Tanné de la musique jusque dans le milieu de la nuit, il est lui-même allé débrancher le système de son. Malheureusement pour lui, il s'agissait d'une cérémonie religieuse bouddhiste. La police est débarquée et notre homme s'est fait mettre entre quatre murs... durant trois mois !

Je mets mes bouchons.

Un peu de lumière pour la photo, et après on se cache.

Un peu de lumière pour la photo, et après on se cache.

Ce à quoi ressemble réellement le chemin entre la route et notre campement. Bucolique.

Ce à quoi ressemble réellement le chemin entre la route et notre campement. Bucolique.

Charmante invitation d'après-midi chez ce couple.

Charmante invitation d'après-midi chez ce couple.

Le chat familial assez surpris de notre visite de la maison.

Le chat familial assez surpris de notre visite de la maison.

Le travail

On arrête quelques jours à Rangoun, la plus grande ville du pays. Fred retrouve un ami anglais avec qui il a roulé en Turquie, je suis hébergé chez Adrienne, une amie d'une amie. Je vous en parle dans La Presse du 31 décembre. Le lien sera sur Facebook et dans ma section Médias.

Peu après avoir repris la route, je me plaignais un peu à Fred de la température et de l'humidité. C'est alors qu'on dépasse une douzaine d'hommes en train de tirer chacun un gros chariot de briques. Ils sont nus pieds sur l'asphalte, tirent comme des bœufs, et ont tous les muscles bandés sous l'effort

Fred me regarde avec des yeux taquins. « Are you still complaining now ? ».

Les gens travaillent fort ici. On s'étonne de voir que les routes sont assez bien malgré qu'elles semblent êtres construites à la main. Le goudron est étendu au sol par un gars qui court avec un seau percé. Le goudron liquide coule alors sur la route jusqu'à son seau soit vide. Évidemment, il n'est qu'en sandales...

Les femmes sont aussi très présentes aux travaux de la voirie. On les voit souvent transporter des paniers d'osier contenant de la gravelle. Des milliers d'aller-retour sont nécessaires pour remplir la route et l'accotement. En réalité, la seule machine que je vois est la niveleuse, repassant sur ces roches pour égaliser le tout.

Après quelques semaines, on constate aussi que le jeudi semble être la journée pour brûler ses déchets. Il n'y a pas de système répandu pour ramasser les ordures. Chacun s'occupe ainsi de son plus gros. Rouler le jeudi est parfois donc presque comme passer à travers un feu de forêt tellement la fumée est partout.

Très souvent en bordure de la route, on voit le grain à sécher se faire étendre ou ramasser.

Très souvent en bordure de la route, on voit le grain à sécher se faire étendre ou ramasser.

Pêche jusqu'à la tombée de la nuit.

Pêche jusqu'à la tombée de la nuit.

Ça fait presque un mois que je roule en Birmanie. À l'approche de la Thaïlande, je suis plus en altitude, l'humidité est moins étouffante, et il y a moins de klaxons qu'au nord. Je commence finalement à apprécier toutes les petites et grandes choses que ce pays m'a offertes. Les sourires, les rencontres, les bonjour, les détournements de tête alors qu'on aurait facilement pu dénoncer ma tente à la police.

Je réalise que je n’ai pas eu d'eau chaude depuis mon arrivée au pays, mais dans cette chaleur, je n'y avais même pas pensé avant. De toute façon, la majorité des Birmans n'ont même pas accès à une douche. Nous avons vu même en ville des gens se laver dehors à l'aide d'un seau.

Sur cette belle route de petites vallées, je suis finalement heureux d'être venu ici et de m'être entêté à connaître ce pays. Birmanie, tu vas me manquer.

Jonathan B. Roy

Auteur, journaliste, vidéaste et conférencier, Jonathan B. Roy raconte des histoires depuis 2016.

http://jonathanbroy.com
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