Trois saisons dans le Pamir

Freddy, Pierre et moi partons de Khorog après quelques jours de repos. Avec la montée vers le plateau du Pamir, le plaisir augmente avec l'altitude.

Les saisons s'enfilent

L'automne arrivant après un peu de montée.

L'automne arrivant après un peu de montée.

La première chose que je remarque en chemin, c'est qu'on quitte rapidement l'été pour l'automne. En suivant le cour de la rivière, la température descend au même rythme que l'on monte.

Au fil des kilomètres, les feuilles changeront de couleur, puis les arbres finiront par disparaître complètement. L'herbe se fera de plus en plus rare et après seulement trois jours, notre paysage deviendra une étendue de pic rocheux surmontés de neige. Il n'y aura pas d'été indien cette année on dirait !

J'ai beaucoup de plaisir à rouler avec d'autres gens. Fred vient du sud de l'Allemagne et a un adorable accent allemand qui le fait prononcer le mot village « willage ». Il est blond, aime se faire prendre en photo et rit de toutes mes blagues. Il pédale vite, est un solide grimpeur et n'aime pas lorsqu'il n'est pas le premier ! Après quelques détours et voyages, il vient de terminer ses études pour être prof de sports et d'histoire.

Pierre est brun, et ne s'est pas rasé depuis le début du voyage, ce qui le rend méconnaissable face à son passeport. Avant de partir, il faisait de l'administration pour une troupe de théâtre. Mais il se passionne pour la construction de vélos et aimerait voir s'il est capable d'en vivre à son retour à Paris. D'ailleurs, son vélo et lui étaient un véritable aimant pour tous les gens que l'on rencontrait.

Freddy qui explique notre voyage à un Pamiri. Les mains qui tournent, c'est un vélo !

Freddy qui explique notre voyage à un Pamiri. Les mains qui tournent, c'est un vélo !

Pierre donnant un tour de manège à un enfant sur son incroyable vélo.

Pierre donnant un tour de manège à un enfant sur son incroyable vélo.

Le Haut-Badakhchan et les Pamiris

Le quoi ?

Le Haut-Badakhchan. Les montagnes que nous traversons se trouvent principalement dans cette région autonome de l'est du Tadjikistan. Créé par les Soviétiques, cette province forme aujourd'hui 45% du territoire tadjik, mais ne contient que 3% de sa population (250 000 habitants). Et ceux-ci se disent avant tout Pamiris, plutôt que Tadjiks.

Les Pamiris sont un peu les peuples originaux de ce territoire. Ils forment un groupe de huit petites nations différentes, parlant chacune sa propre langue, et pratiquent tous une forme plus rare de l'islam, différente de celle du reste du pays. Ce n'est que dans les années 1930 qu'ils ont été connectés au reste du monde, lorsque les Soviétiques ont bâti la route du Pamir afin de lier la Chine à l'Afghanistan et à l'Iran.

Autre attribut de ce peuple, ils sont extrêmement accueillants et généreux. Freddy, Pierre et moi avons été reçus par plusieurs Pamiris sur la route. C'est l'un d'entre eux, Davlat, qui nous a parlé de la guerre civile ayant eu lieu ici entre 1992 et 1997.

Le Pamir couvre principalement la partie est du Tadjikistan, mais déborde aussi au Kirghizistan, en Chine et en Afghanistan.

Le Pamir couvre principalement la partie est du Tadjikistan, mais déborde aussi au Kirghizistan, en Chine et en Afghanistan.

Davlat et sa famille.

Davlat et sa famille.

Peu après la fin de l'Union soviétique, la région du Haut-Badakhchan en a profité pour déclarer son indépendance du Tadjikistan. Les combats n'ont jamais vraiment été égaux, et après que 50 000 à 100 000 hommes et femmes soient décédés, la province est entrée dans le rang et a gagné le statut de région autonome. Par représailles, vengeance ou calcul politique, peu d'investissements ont cependant eu lieu depuis les dernières décennies dans la région. Ce qui peut expliquer la qualité médiocre des routes et des bâtiments un peu partout en chemin.

Les belles journées

Ces journées à gravir le plateau furent, et je pèse mes mots, les plus belles de mon voyage à présent. Une température agréable, un vent de dos, une surface mieux que ce à quoi je m'attendais, une vue magnifique, presque plus de circulation, et en bonne compagnie. C'est l'état de grâce! Beaucoup des points de vue me faisaient même penser à l'Autriche, en plus sauvage, et je me retenais de ne pas arrêter pour prendre des photos à chaque deux kilomètres.

L'altitude est aussi encore fort tolérable, se situant, en dehors des nombreux cols, entre 3 000 et 4 000 m. Fred et moi nous laissons même aller à courser pendant une vingtaine de kilomètres jusqu'au village d'Alichur.

Alichur

Nous attendions Alichur depuis plusieurs jours. Sur la carte, c'est le seul point habité à quelques jours de route avant et après. Mais en réalité, ce n'est que quelques bâtiments en terre battue et en argile aggloméré dans une grande vallée. L'électricité est instable et coupe souvent, et personne n'a d'eau courante. Les habitants doivent donc se rendre quotidiennement au puits situé au centre du village, afin d'aller pomper manuellement ce qu'ils ont besoin. À cette altitude, c'est déjà glacial à la fin septembre, et rien ne pousse. Mais bon, il y a un mini-marché où ils vendent des Snickers double format. Les avantages me semblent donc balancer les inconvénients !

Pierre et Freddy arrivant dans le village d'Alichur.

Pierre et Freddy arrivant dans le village d'Alichur.

Peut-être une longue montée, mais quel spectacle visuel ! On y voit Freddy et Pierre en bas à droite.

Peut-être une longue montée, mais quel spectacle visuel ! On y voit Freddy et Pierre en bas à droite.

Après avoir analyser pour 3 secondes nos options d'hébergement disponibles, nous décidons de camper tout juste après le petit village. Nos tentes nous apparaissant comme l'option la plus luxueuse !

Une « Guest House » de qualité.

Une « Guest House » de qualité.

Après notre nuit en tente, on va faire le plein d'eau au puits du village. Un enfant d'à peu près 5 ans arrive en même temps que nous et on l'aide à remplir son immense réservoir d'à peu près huit gallons. Fred et moi le transportons ensuite à deux jusqu'à sa maison. On a la drôle d'impression de s'être fait jouer par le jeune qui s'est dit qu'il se sauverait pas mal de voyages grâce aux touristes en vélo !

Puis, nous repartons. La vue est toujours superbe sur le plateau. Le vent de dos nous pousse. Qu'est-ce qu'on est chanceux de vivre ça.

Jonathan B. Roy

Auteur, journaliste, vidéaste et conférencier, Jonathan B. Roy raconte des histoires depuis 2016.

http://jonathanbroy.com
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