Jonathan B. Roy

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Petites et grandes catastrophes

La nature prend le dessus dans cette sauvage Carretera chilienne. Et ce qui devait arriver à l’Italien Davide arrive…

Le Chili est incroyablement magnifique. Certainement l’un des plus beaux endroits que j’ai visités. Et le camping ici devrait être parfait. La région de la Carretera austral en plus est pratiquement déserte d’humains. Elle compte aussi d’innombrables rivières, sur les bords desquelles poser sa tente représente le graal du camping sauvage. Mais il y a aussi souvent des centaines de taons presque gros comme des oiseaux qui « taonnent » fort autour de nos têtes. Et encore plus que bourdonner, « les femelles se nourrissent normalement du sang des grands mammifères qu'elles mordent avec leur stylet. » (selon Wikipédia)

Davide, Jonathan et Freddy, en pause dîner.

Ceci dit, l’inconvénient majeur au camping, ce sont les interminables clôtures de fils de fer barbelés qui ont été installées par les immenses propriétaires terriens sur toute la longueur de ce long chemin. À moitié pour retenir le bétail, à moitié pour délimiter leurs propriétés. Le Chili a beau avoir voté pour un gouvernement communiste en 1970, les années Pinochet et la venue d’Européens dans le sud du pays ont décidément effacé cette idéologie.

Tout ça pour dire que dans ce paradis du camping, mes compagnons Freddy, Davide et moi devons souvent nous cacher ou passer des clôtures pour planter nos tentes. Pratiquement une première pour mes aventures cyclistes, nous nous faisons même dire à quelques reprises que nous devons changer d’endroit. Après quelques négociations, nous n’avons cependant dû bouger notre campement le soir venu qu’une seule fois…

La route maintenant asphaltée est agréable à travers la forêt et d’une rivière à l’autre.

Une autre soirée entre rivière et montagnes. On ne voit pas les taons dans cette photo !

La catastrophe de Villa Santa Lucia

Ces petits problèmes sont pourtant bien minces en comparaison à ce que la population de Villa Santa Lucia a vécu il y a tout juste un an. Suite à un immense glissement de terrain, plus d’une vingtaine de personnes ont perdu la vie, sur une population totale d’à peine 140 habitants.

À la mi-décembre 2017, la région a reçu plus de 122 mm de pluie en tout juste 24 heures. Le sol s’est gorgé d’eau au point d’en devenir instable. Et au sommet de la falaise surplombant la vallée se trouvait un glacier dont une partie s’est détachée et s’est mise à glisser vers la vallée. En emportant avec lui roches et arbres, l’immense morceau de glace a dévalé vers le village à une vitesse de 72 km/h. Quelques dizaines de maisons et d’édifices publics furent détruits par l’inondation et les incendies qui suivirent. Vingt-deux personnes perdirent la vie dans ce tout petit village qui peine depuis à s’en remettre. (Davantage d’informations à ce lien, en espagnol).

Ce qui reste du hameau de Villa Santa Lucia, à moitié détruite par une inondation en décembre 2017.

Davide et Freddy roulant sur la « nouvelle » route toujours en reconstruction.

Près de Villa Santa Lucia, les piles de débris remplacent toujours la forêt.

L’éruption du volcan Chaitén

À 75 km au nord de Villa Santa Lucia se trouve ensuite la petite ville de Chaitén. Ici aussi la région a subi les foudres de la nature il n’y a pas si longtemps. En 2008, le volcan éponyme, que l’on croyait endormi depuis des milliers d’années, s’est réveillé. Ses cendres se sont élevées jusqu’à une trentaine de kilomètres d’altitude, et ont été portées par les vents de l’est jusqu’à forcer la fermeture de l’aéroport de Buenos Aires, à plus de 1000 km de là.

Puis des immenses coulées de boue ont rasé une bonne partie du village. Cette boue et les cendres qui retombaient au sol ont même fait dévier le fleuve voisin. Ce cours d’eau qui passait avant au sud de la petite ville de 4000 habitants la coupe maintenant en deux. En fait, il la couperait si les maisons sur l’une de ses rives n’avaient pas été détruites.

Malgré tout, le volcan ayant donné pendant quelques jours des signes de son réveil, tous les environs avaient été préalablement évacués. Une seule personne est décédée durant l’évacuation. Chaitén compte aujourd’hui un peu moins d’habitants qu’à l’époque, tous n’étant pas revenu rebâtir leur maison. Mais le tourisme se développe et la ville et le moral continue de grandir.

Coupé « d’une mauvaise façon »

Davide avec ses doigts en bandages, quelques jours après l’incident.

À quelques kilomètres au nord de ce village volcanique de Chaíten, Davide, Freddy et moi campons ce soir-là sur la plage de Santa Barbara. Je vous ai déjà dit à quel point mon ami italien était un casse-cou et un peu dans la Lune.

L’accident qui devait arriver arriva donc à peine quelques instants après notre arrivée. Davide est en train de couper son avocat en regardant la mer lorsque son couteau passe tout droit et lui entaille un doigt. Le sang gicle. Il regarde Freddy qui est alors juste à côté de lui.

« Je viens de me couper… », dit un livide Davide. « Et pas d’une bonne façon… »

Freddy a une grosse trousse de premiers soins dans ses sacoches et prend la situation en main. Heureusement, une famille se trouve sur la plage et propose d’amener l’Italien à l’hôpital de Chaitén. Davide part donc rapidement avec Freddy. Je reste à la plage avec nos vélos et tout notre équipement.

Davide réussit par chance à voir rapidement un médecin qui lui fait quelques points de suture. Il lui pose ensuite un nouveau bandage et lui conseille d’aller consulter un autre médecin dans la prochaine ville que nous passerons, pour s’assurer de la guérison. Les deux Européens sont de retour sur la plage avant la noirceur et à temps pour le souper.

Davide le guerrier n’hésite même pas à reprendre la route dès le lendemain matin. Sa main enveloppée dans des bandelettes blanches, nous nous engageons ainsi une fois de plus sur un tronçon de quelques dizaines de kilomètres de gravier.

La plage de Santa Barbara, un peu au nord de Chaitén.

Jonathan et Davide profitent d’une belle route déserte avant le début du gravier.

Freddy pousse sur le gravier.

Le paradis des moules

Notre trio décide le lendemain de faire un détour par un chemin côtier et de quitter la Carretera pour deux jours. Les montagnes et la forêt font soudainement place à l'air salé du large. Des mini villages sont accrochés à la côte, me rappelant des paysages de la Côte-Nord québécoise. Les églises sont nombreuses et peintes chacune d'une couleur vive. Jaune, rouge, bleu éclatant. À l’ancre ou montés sur les plages, on aperçoit beaucoup de bateaux de pêche. Nous passons même quelques petits chantiers navals où quelques ouvriers sont penchés sur des charpentes de nouvelles embarcations en bois.

Le soir, nous nous lavons comme à l’habitude dans une rivière. L’eau est moins froide que normalement. Elle ne doit pas descendre des glaciers. Puis nous installons notre campement sur le bord d’une grande plage de galets. Nous constatons rapidement que celle-ci est couverte de moules. Il doit y en avoir des milliers ! Chaque roche retournée fait apparaître de dix à quinze mollusques. On revient avec quelques sacs pleins en à peine une dizaine de minutes.

Personne de nous trois n’a jamais préparé de moules de sa vie, ou ne sait comment faire. Et hors de la civilisation, sans connexion internet, nous nous débrouillons pour notre festin à venir. Mes deux amis européens supposent que puisque je parle français, je suis le spécialiste de ce fruit de mer. Je les nettoie donc et, dans un travail à la chaine, les moules s’empilent rapidement dans l’eau bouillante. Pendant ce temps, Freddy prépare du riz et des légumes pour compléter le repas.

Le résultat est incroyablement excellent. Nous devons en manger quelques dizaines chacun. C’est difficile de trouver plus frais que ça. Néanmoins, entre deux bouchées, j’émets le souhait que personne ne sera malade…

Les petites églises sont nombreuses et colorées le long du chemin côtier.

En pleine préparation des moules !

J’apprendrai plus tard que les moules qui ne se sont pas ouvertes d’elles-même dans l’eau bouillante ne doivent pas être forcées à l’aide d’un couteau… comme je l’ai proposé. Davide et moi avons pourtant dormi repus et sans problème digestif toute la nuit. Ce fut une toute autre histoire pour Freddy ! Celui-ci a dû se lever à 4 reprises pour être malade dans la nuit noire. Il allait dans une direction différente à chaque fois pour raison évidente ! Et dans le silence nocturne, il nous écoutait dormir, se demandant pourquoi il était le seul malade !

Peut-être avons nous été épargnés parce que Davide avait déjà eu son quota de malchance… et que moi je parle français ?!

La fin

Le lendemain, nous avons enfin complété avec un Freddy affaibli la route de cette longue Carretera austral. L’arrivée dans la ville de Puerto Montt signalait non seulement un changement de géographie mais aussi le départ de notre ami Davide. Après quelques jours de repos avec nous, l’Italien nous donna une dernière étreinte avant de prendre un autobus pour Santiago, plus au nord. De la capitale, il prendra un vol pour le ramener vers l’Espagne et quelques semaines supplémentaires de vélo en direction de l’Italie.

Au revoir Davide. Au revoir Carretera. Nous nous reverrons, c’est certain.

Davide le blessé, Freddy avant d’être malade, et Jonathan… le lent invincible ?!

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