Jonathan B. Roy

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Un pays en feu

Sur la route, je continue de rencontrer des gens, mais partout, je vois surtout de la fumée. Et comme on sait, il n'y a pas de fumée sans feu...

Je vous l'ai déjà dit, les gens sont souriants au Laos, surtout les enfants. Et je continue de voir des images que je n'aurais jamais pu voir si j'avais continué de tourner en rond à la maison avec mon vélo.

Des gamins tenant des poulets dans leurs mains comme si c'était un chiot, des jeunes filles tressant laborieusement des paniers pour la maison, et partout, partout, des montagnes de melons à vendre.

Je me fais prendre une fois à en acheter un... que je mangerai assez vite après avoir réalisé que ça se transportait assez mal en vélo !

Pause fruitée sur le bord de la route.

Jeune fille tressant un panier avec ses soeurs.

Avoir un poulet comme animal domestique, rien de ne plus normal ici... jusqu'à ce qu'on le mange.

Melons quelqu'un ?!

Le soleil, ça fatigue.

Un pays en feu

Mais ce qui me frappe surtout dans le sud du Laos, c'est le ciel souvent entièrement couvert de fumée. Et il n'est pas compliqué de voir d'où ça vient les bords de chemin sont en feu, tout comme beaucoup de clairières ou de bois au loin.

Après des recherches dans les internets sur ce sujet, j'en apprends tristement plus sur cette technique appelée agriculture sur brûlis, ou slash-and-burn en anglais.

En gros, c'est une technique millénaire utilisée dans l'agriculture de subsistance, donc quand tu fais pousser juste assez de plants pour ta famille ou ton village. Ça consiste à défricher grossièrement la forêt à la hache, en laissant ce qui vient d'être coupé à terre, et à brûler le tout de façon à utiliser le carbone produit par la combustion pour enrichir un peu la terre.

Ensuite, sans aucun labour ou préparation du sol, on sème et on récolte ce qui pousse. Mais après seulement 3 à 5 ans, le sol est déjà épuisé, et on l'abandonne à la nature pour une autre période de 5 à 15 ans. Le cycle recommençant ensuite.

Les bords de route brûlés par les feux allumés à la main.

Les scientifiques ont cependant calculé que seulement 1,7% du carbone était transféré au sol. Le reste, tu l'as deviné, part en fumée. Et comme pas mal de pays de l'Asie du sud-est pratiquent encore cette technique malgré beaucoup d'interdictions nationales, ça cause de la pollution et de l'immense smog sur toute cette grande région. Comme si on avait besoin de ça...

L'avantage pour les habitants est que c'est beaucoup plus facile de tout brûler que de travailler la terre avec des outils spécialisés, souvent manquants. Mais en plus de nuire à la santé, la longue liste d'inconvénients inclut aussi les lourdes pertes à la biodiversité  dont des arbres et animaux rares en plus des bactéries et champignons nécessaires à la culture.

On estime qu'encore 300 à 500 millions de personnes pratiquent toujours cette technique, sur un tiers de la planète. Et particulièrement ici à cette période de l'année du début de l'été. En comparaison, la dernière fois où ceci a été utilisé en Amérique du Nord remonte au début des années 1800 !

Ce voyage m'apporte périodiquement la réflexion que nous ne formons qu'une seule planète et que nous devrions travailler plus ensemble.

Je me demande trop souvent à quoi ça sert de nettoyer et de peinturer sa chambre quand le salon et la cuisine sont en train de brûler...

Les 4 000 îles

Les rivières sont encore des routes communes ici.

Au sud du Laos, sur la rivière Mékong, qui sépare entre autre ce pays d'avec le Cambodge, se trouvent la région des 4000 îles.

En fait, ce chiffre est pas mal exagéré, même si on compte quand même quelques centaines d'îles dans l'archipel. Un peu comme le nom de Trois-Rivières, alors qu'il n'y en a qu'une !*

Je mets mon vélo sur une pirogue et je débarque bientôt sur une des îles principales. Deux jeunes Allemandes flânant proche du quai viennent à ma rencontre. L'une procède à me vanter la place en me disant qu'on peut y fumer du pot dans tous les restaurants du village sans se faire déranger.

Je ne suis pas ton public cible ma belle fille...

Pendant qu'elle me parle, je regarde autour. Il semble y avoir plus de touristes que d'habitants locaux ici. Et le contraste est frappant. Des blancs dans la jeune vingtaine pour la plupart, montrant souvent assez de peau pour que les Laotiens détournent le regard.

Est-ce que c'est bon quand ton village se fait élire lieu de tourisme par toute une génération ? Bien sûr, ça apporte beaucoup d'argent, mais à quel prix ? Celui des fêtes à tous les jours, celui de devenir un étranger dans sa propre île ? Je n'ai pas la réponse à ma question.

Comme le vélo a l'avantage de m'apporter où je veux, je quitte le village principal pour me diriger vers un endroit plus tranquille de l'île, qui me ressemble plus.

Un endroit où c'est moi le touriste qui pourra en apprendre sur la vie ici.

Maison sur une île au milieu de la rivière.

Autre preuve, s'il en faut une, qu'un vélo est toujours photogénique !


* Note - C'est la rivière Saint-Maurice qui se sépare en trois branches avant d'arriver au Saint-Laurent qui aurait donné son nom à la ville de Trois-Rivières.